Projet de plan ministériel de mixité sociale en milieu scolaire : l’analyse du Cnal
Le Comité National d’Action Laïque donne son appréciation des mesures envisagées et trace des lignes rouges: parmi la palette de mesures qui seront annoncées aux alentours du 20 mars, le ministre a marqué sa volonté d’augmenter le nombre de secteurs bi-collèges. Il s’agit de mixer les cohortes d’élèves affectées dans des collèges géographiquement proches, mais dont la composition sociale diffère fortement. Deux cent collèges sont repérés et devraient voir leur situation évoluer.
Le CNAL accueille favorablement cette mesure, qui a donné des résultats satisfaisants là où elle a été mise en œuvre.
Le ministre a aussi annoncé l’implantation de sections internationales dans des établissements défavorisés. À la rentrée 2022, 43 sections ont déjà été ouvertes et 16 autres devraient l’être à la rentrée 2023.
Le CNAL rappelle que la première utilité de la mixité sociale est de construire une scolarité commune à tous les élèves. Or la présence de sections sélectives dans des établissements défavorisés ne présagent en rien de la réalité d’une scolarité commune. En d’autres termes, des élèves peuvent être scolarisés dans le même établissement et vivre néanmoins leur scolarité dans des couloirs étanches. Ce dispositif ne garantit pas de réelle mixité.
Enfin, le ministre a déclaré vouloir engager l’enseignement privé sous contrat vers davantage de mixité sociale et scolaire. Le ministre est lucide sur le rôle décisif de l’enseignement privé dans le séparatisme scolaire. Financé à 73% par l’argent public (sans oublier le manque à gagner budgétaire lié à des dons défiscalisés à des fondations qui n’alimentent que des établissements privés), il ne connaît aucune contrainte quant au recrutement de ses élèves. Dès lors, l’écart de composition sociale entre public et privé s’est perpétué au fil des années, au détriment de la réussite de tous les élèves et de la laïcité.
Le ministre a déclaré vouloir conclure un protocole d’accord avec des organisations représentatives des réseaux d’enseignement privés. Il s’agit notamment du poids lourd du secteur, l’enseignement catholique, mais aussi les représentants des autres réseaux scolaires religieux, ainsi que les réseaux scolaires aconfessionnels, abusivement appelés « laïques ». Seuls les établissements ont individuellement la capacité juridique de passer contrat avec la puissance publique Selon le ministre, ce protocole contient la possibilité d’instaurer un bonus/malus en fonction de l’accueil d’élèves boursiers. Il précise que la mixité doit aussi être scolaire, de manière à éviter que des établissements privés n’opèrent une sélection parmi les élèves boursiers. Il ajoute enfin que l’accueil d’élèves en situation de handicap doit être significativement rehaussé.
L’impossible mixité sociale dans les établissements d’enseignement privés
Pour le CNAL, le ministre a bien pris la mesure du malheur national que représente le séparatisme social de la jeunesse, essentiellement mis en œuvre par l’enseignement privé sous contrat. La publication des IPS a documenté la responsabilité qui est la sienne dans la ségrégation de la jeunesse.
Le CNAL rappelle que la loi prévoit uniquement la possibilité pour l’État de passer un contrat avec un établissement d’enseignement privé, et non avec un réseau religieux, linguistique ou pédagogique. Les réseaux constitués et qui s’érigent en représentants des établissements ne peuvent donc pas engager les établissements, qui ont chacun leur politique de choix des élèves. Le protocole souhaité risque donc de n’avoir qu’une portée très limitée.
De plus, le système de bonus-malus est une avancée, déjà mise en œuvre par le conseil départemental de Haute-Garonne, mais qui ne concerne que les frais de fonctionnement dus par la collectivité. Les sommes engagées représentent environ 5% du financement des établissements. Autant dire que cette modulation financière ne sera pas décisive.
Dans le débat parlementaire, le ministre a laissé une porte ouverte à une revendication de l’enseignement catholique, qui demande le financement des frais de restauration scolaire de ses élèves par les collectivités.
L’adoption d’une telle mesure serait choquante et alourdirait les dépenses des collectivités, déjà fragilisées par l’inflation, en direction d’un secteur qui n’en a pas besoin. Nous revendiquons que tout financement public soit réservé au seul enseignement public.
Pour le CNAL, le ministre essaie de trouver un gentleman agreement entre deux parties aux intérêts et finalités tellement distincts qu’il pourrait se traduire par : « l’argent tout de suite, les objectifs plus tard, la contrainte jamais ».
En l’état actuel de la loi et de la Constitution, la liberté d’enseignement permet aux établissements d’enseignements privés de choisir leurs élèves et l’idée même d’une remise en cause de ce droit provoque une intimidation récurrente à l’adresse des pouvoirs publics. La menace de « raviver la guerre scolaire » brandie par les responsables de l’enseignement privé a jusqu’à présent tétanisé beaucoup de responsables politiques. Il est grand temps que tout cela change, car la guerre scolaire est perdue depuis longtemps, au détriment de la réussite des élèves issus des milieux sociaux les plus pauvres.
article posté le : 06/03/2023